Cette journée m’apparaissait comme plein d’autres, d’une banalité quotidienne assez déplaisante. Même si les nombreuses ressources que possédaient Black Valley m’enchantaient, parfois je m’en lassais. Tout avait un arrière un goût de sombre, d’étrange, de mystérieux. A vrai dire, que pouvions-nous espérer d’une telle ville ? Pour combler mon ennui, je m’engageai dans la forêt d’un pas mou et incertain. Je me laissais guider par mon irréfutable instinct qui ne me trahissait qu’occasionnellement. Même s’il faisait jour et que la nuit était encore bien lointaine, une certaine obscurité régnait en ces lieux, leur donnant cet aspect douteux que la forêt ne quittait plus maintenant. C’était devenu une icône de la noirceur de Black Valley. Je m’aventurais dans une partie du bois qui m’était jusqu’à présent resté inconnue. Une légère curiosité et une envie d’aventure m’emplit, et ce fut d’une démarche plus décidée que je m’enfonçais encore plus dans les profondeurs de la forêt. Chaque bruit attirait mon attention si facilement captivable en ces moments. Malgré moi, un sentiment de réticence couvrait furtivement ma marche ; j’avais ces derniers jours perdu énormément de mon énergie dans des combats puérils à cause dérisoires, ce qui m’agaçait un peu. Plus tard, il fallait que je remédie à cette fâcheuse manie que je portais à toujours m’engouffrer dans d’étranges situations qui s’avéraient rapidement être insignifiantes.

Je ne savais pas exactement si je n’étais pas en train de me perdre. J’avais l’impression de tourner en rond, trouvant que tous les arbres que j’apercevais se ressemblaient trop à mon goût. Quoi qu’il en soit, je me fiais toujours à mon orientation et je continuais la route qui m’était tracée. Je ne pouvais mentir, j’entrais dans ce domaine sans la totalité de mes moyens et mon assurance qui ne m’avait que rarement fait faux bond, me lâchait comme cela, sans raison valable. Je ne m’inquiétais pas énormément, elle finira bien par regagner mon camp, toutefois, à ce moment précis, elle ne serait que la bienvenue. C’était étrange parfois comme la luminosité pouvait influencer nos pensées ; alors que je passais dans une zone miraculeusement lumineuse, mes songes devinrent subitement plus optimistes. Pourtant, j’étais un loup-garou et Dieu sait comme quoi je ne craignais pas le noir. Peut-être fusse une coïncidence mais cela faisait longtemps que je ne croyais plus à l’hasard. Oui, j’admettais que chacun avait une voie pré-tracée mais que nous pouvions s’éloigner puis se rapprocher de cette ébauche, tout en restant dans les limites instaurées. Néanmoins, et c’était cette idée qui me démangeait depuis un certain temps, j’avais la certitude que la mort de chacun des êtres était programmée le jour de notre naissance, n’était-ce pas en quelque sorte le destin cela ?

Un claquement parvint à mes oreilles et me tira de mes songes trop éloignés du présent. Je me tournai vers l’endroit d’où était provenu le bruit et je remarquai la présence d’une étrange cabane. Encore une fois, ma curiosité ne me permit pas de passer outre. Je marchais calmement en direction de l’abri, d’une sérénité exemplaire. Plus je m’en approchais, plus son allure me faisait dire que cette cabane avait anciennement servi de refuge pour les chasseurs, vu sa décoration et son ambiance. J’arrivai finalement face à la bâtisse et je gravis silencieusement les quelques marches. Comme si les cieux m’accompagnaient dans mes actes, une rafale de vent vint m’ouvrir violemment la porte. Après une brève hésitation, j’entrai. La noirceur des lieux étaient assez effroyable et, tout compte fait, je n’avais guère envie de rester ici. A quoi bon ? Le claquement s’était fait entendre à cause du claquement de la porte et tout cela avait été œuvré par les bourrasques soudaines. Pas d’inquiétude, j’étais seul en ces lieux et aucun être, quel qu’il soit, n’avait élu domicile ici.

Toutefois, j’avais ce pressentiment qui me disait au fond de moi qu’encore aujourd’hui j’allais être confronté à une des multiples créatures de Black Valley …

L’obscurité des lieux était franchement très désagréable. Il ne faisait pas noir comme il faisait durant la nuit, non il flottait dans cette cabane une noirceur digne des ténèbres en personne. Et encore, les sous-sols du monde pouvait l’envier, tant son aspect était effroyable. Peut-être venais-je d’entrer dans les entrailles-même du monde terrestre ? C’était absurde, je l’avouai. Tout de même, j’avançais à l’aveugle avec une grande prudence. Cela me rappelait mon enfance ; quand je vivais chez ma grand-mère à Vancouver, derrière la maison se dressait une vieille remise de jardin. Alors que j’étais encore gamin, je croyais que c’était là-bas que se réfugiait la journée les monstres qui m’hantaient la nuit. Pour moi, c’était un lieu maudit, à éviter sans aucune exception. Puis, j’avais grandi. Et j’avais compris que les ombres menaçantes n’étaient d’autres qu’une brouette et des sacs de poubelles, ainsi qu’un établi où ma grand-mère exposait ses vieux objets qu’elle n’y trouvait plus aucune utilité. Dans le cas présent, alors que j’avais cru entré dans les enfers, je pénétrais seulement dans un refuge de chasseur, une simple cabane. Bien que cette idée fût à présent claire dans ma tête, à chaque pas que je posais, je sentais le sol frémir et les planches de bois qui faisaient office de parquet grincer. Je n’étais aucunement rassuré par ces gémissements incessants qui venaient troubler ma quiétude lourdement acquise. Toutefois, j’étais conscient que mon calme n’était qu’éphémère et que dès le prochain claquement de porte ou alors le suivant sifflement de vent, je redevenais anxieux. Telle était mon état actuel.

Le vent pénétrait coup par coup par la vitre brisée de la cabane, faisant claquer la porte par l’occasion. Mais qu’était donc devenu le vaillant loup que j’étais depuis longtemps ? Était-ce digne d’un Bass d’être effrayer par une vieille cabane ? Je n’aurais pu dire la réponse à haute voix, je la pensais silencieusement ; honte à moi. Heureusement, j’étais seul en ces lieux, personne n’aurait l’occasion d’aller vanter mon courage exemplaire dans les rues de Black Valley et de la sorte me faire tomber sur la tête une réputation de faible, ce que j’aurais vraiment mal pris.

Le silence régnait dans la cabane, sonnant faux. Depuis le début, craquement, claquement et crissement se mélangeaient puis tout à coup, une trêve s’annonçait. Toutefois, pour combien de temps ? Je restai debout sans rien faire. Je faisais aussi le vide dans ma tête.
Je crus qu’à cet instant mon cœur allait s’arrêter, que ma mort avait été signée et préparée ainsi que j’allais quitter définitivement le monde des vivants. Mon visage apeuré horrifié fixait le jeune homme qui sortit de la pénombre après m’avoir effrayé terriblement. Je fus honteux de ma réaction, surtout quand je reconnus Erwan. Il était mon semblable, un loup. Quand tout mon clan apprendra cela, je serai la risée de tous.

• Il me coûte de l’avouer, mais sur ce coup-là Erwan tu m’as eu.

Même si j’en rigolais, au fond de moi, il me restait un sentiment d’incertitude et de peur. La porte claqua de nouveau, suite à une rafale démente. Du moins, c’était ce que je pensais. C’était d’office le vent, quoi d’autre ?

• Je suis bien d’accord avec toi, cet endroit est tout sauf rassurant.

Erwan était un des mes compères que j’appréciais le plus. Peut-être était-il comme moi, différent en quelques sortes des autres Bass. Je sentais que, malgré l’endroit lugubre et inhospitalier, j’allais penser un bon moment avec ce jeune homme. Le vent s’engouffra de nouveau dans la cabane en un bruit ahurissant. Je n’aimais pas tout cela. Pourquoi devenais-je si peureux tout à coup ? Je ne le savais …

Je m’approchai de la porte afin de recevoir le peu de lumière qui entrait dans les lieux. Je m’adossai contre le mur en bois et me tournai vers Erwan.

• Que fais-tu ici ? Il me semblait que cette cabane était abandonnée ...